Dès le 29 mars, la Commune
décide de former dix commissions correspondant aux différents
ministères que le Comité central avait pris en main, à
l’exception de celui des Cultes qui est supprimé. Le 19 avril, dans
une déclaration, elle explique ses buts au peuple français
: reconnaissance et consolidation de la République, une république
non plus centralisée, mais qui serait le résultat de la fédération
de toutes les communes de France. Suit l’énumération des
droits de la commune : vote du budget communal, organisation de la magistrature,
de la police, de l’enseignement, recrutement de tous les fonctionnaires
par élection ou concours, administration des biens appartenant à
la commune, garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté
du commerce, de la liberté du travail, intervention permanente des
citoyens dans les affaires de la commune, organisation de la garde nationale
par l’élection des chefs. La Commune de Paris se défend de
vouloir, comme l’en accuse le gouvernement de Versailles, imposer sa dictature
aux autres communes de France, ou poursuivre la destruction du pays. Elle
refuse, au contraire, la centralisation « despotique, inintelligente,
arbitraire ou onéreuse » qui a été imposée
à la France par la monarchie, l’Empire et la république parlementaire.
« Nous avons la mission d’accomplir la révolution moderne
la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé
l’histoire. »
Ce texte essentiel éclaire
l’œuvre que la Commune va essayer de réaliser, sans plan ni méthode,
dans une suite d’improvisations et dans un délai très court.
Il s’agissait, en fait, de détruire la société et
le gouvernement traditionnels, et de les remplacer par une société
totalement nouvelle visant non plus au gouvernement des hommes, mais à
l’administration des choses par les hommes eux-mêmes. Ce projet de
décentralisation aurait pu recevoir l’appui d’une partie de la province,
s’il y avait été connu. La Commune essaya bien d’envoyer
des émissaires dans les départements et de lancer un appel
aux paysans. Des villes comme Lyon et Saint-Étienne avaient connu
des soulèvements dès le mois de septembre ; le 18 mars avait
eu quelque retentissement à Marseille, à Narbonne, à
Toulouse, à Grenoble, à Limoges. Mais la situation avait
été rapidement reprise en main par le gouvernement. Intoxiquée
par la propagande versaillaise, la province, dans son ensemble, resta hostile
à Paris.
La Commune remet en marche les services
publics, désorganisés par le départ d’une grande partie
des fonctionnaires et administrés provisoirement par le Comité
central. Il faut que Paris, qui a tant souffert de la faim pendant le siège,
puisse se nourrir. Viard et la Commission des subsistances prennent des
mesures de taxation du pain et de la viande, et, en liaison avec les mairies,
assurent le contrôle des halles et marchés. Le service des
Postes est rétabli en quarante-huit heures. Un conseil des Postes,
créé au début d’avril, comprenant des représentants
du personnel, sorte de « commission paritaire » avant la lettre,
devait décider du recrutement et de l’avancement des fonctionnaires.
Un ouvrier bijoutier, Camelinat, membre de l’Internationale, dirige la
Monnaie. Le service de l’Imprimerie nationale imprime les affiches de la
Commune. Contrainte de réorganiser le service de santé, la
Commune décrète, le 13 avril, la constitution de compagnies
d’ambulances. Dans les arrondissements, les bureaux de bienfaisance sont
remplacés par l’assistance communale.
En ce qui concerne la Justice,
la Commune décide la gratuité du recours aux juges et le
principe de leur élection, mais doit remettre à plus tard
l’exécution de ce décret. Elle supprime, en outre, la vénalité
des charges de notaires, d’huissiers et autres officiers publics, qui deviendraient
des fonctionnaires : ces mesures auraient eu pour résultat d’enlever
à l’exercice de la justice son caractère de classe.
Aux Finances, la Commune avait
placé un homme particulièrement intègre, un employé
de banque, Francis Jourde. Il s’efforça de percevoir les recettes
traditionnelles et d’éviter le gaspillage. Mais la Commune recula
devant la mesure révolutionnaire qu’aurait été la
nationalisation de la Banque de France, erreur qui contribua à sa
défaite.
Au contraire, sur le plan de l’enseignement,
la Commune agit avec vigueur et continuité. Pour forger la société
de l’avenir qu’elle souhaitait, il fallait former des hommes et des femmes
échappant à l’emprise cléricale. D’où la nécessité
de créer un enseignement gratuit, laïque et obligatoire, qui
assurât à la jeunesse une formation républicaine. La
Commission de l’enseignement et les municipalités de Paris firent
appel à toutes les compétences, à toutes les bonnes
volontés. La société de l’Éducation nouvelle
convie les éducateurs et les parents à discuter des réformes
à réaliser dans les programmes et les méthodes d’enseignement.
Les discussions préconisent des expériences pédagogiques
qui seront appliquées par la suite dans presque tous les pays. Louise
Michel propose à la Commune une méthode d’enseignement dans
laquelle elle accorde la plus grande importance à la formation morale
des enfants. Des écoles congréganistes ont fermé leurs
portes : la Commune demande aux citoyens et citoyennes qui voudraient obtenir
des postes de présenter leur candidature à la Commission
de l’enseignement et confie l’inspection des écoles aux membres
de la Commune. Le délégué à l’Enseignement,
Édouard Vaillant, invite les municipalités à créer
des écoles professionnelles, en particulier pour les jeunes filles.
Deux écoles sont ouvertes, l’une rue Lhomond, l’autre rue Dupuytren.
La Commune décide en outre de relever les traitements des instituteurs
et institutrices. Pour la première fois, on proclame l’égalité
des salaires entre les hommes et les femmes.
Bien que, sous l’influence proudhonienne,
la Commune se montrât souvent hostile aux femmes, en dépit
de l’aide incontestable qu’elles lui apportèrent, des mesures sont
prises qui ont pour conséquence de reconnaître la famille
prolétarienne, telle qu’elle existait réellement, et de faire
éclater les structures traditionnelles instituées par les
lois civiles et religieuses : pour le paiement des pensions des fédérés
tués au combat, la Commune ne fait pas de distinction entre les
femmes mariées ou non, entre les enfants légitimes ou naturels.
Mais c’est dans le domaine du travail
que la Commune de Paris amorce son œuvre la plus profonde de précurseur.
La Commission du travail, de l’industrie et des échanges est dirigée
par un ami de Marx, Frankel, qui avait reconstitué, avec Varlin,
le conseil fédéral de l’Internationale. « Nous ne devons
pas oublier, déclare-t-il le 13 mai, que la révolution du
18 mars a été faite par la classe ouvrière. Si nous
ne faisons rien pour cette classe, je ne vois pas la raison d’être
de la Commune. » Une première série de mesures de caractère
social concerne les loyers, les échéances et les dépôts
au Mont-de-Piété. Dès le 30 mars, la Commune décrète
la remise des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871, sans contrepartie
pour les propriétaires ; le 25 avril, les locaux abandonnés
doivent être réquisitionnés en faveur des habitants
dont les appartements ont été endommagés par les bombardements.
La Commune décide, après
de longues hésitations, que le remboursement des échéances
commencera seulement à partir du 15 juillet 1871 et sera étalé
sans intérêts sur trois ans. Les objets d’une valeur inférieure
à vingt francs, déposés au Mont-de-Piété,
« cette banque du pauvre », peuvent être dégagés
gratuitement.
Le travail de nuit des boulangeries
est supprimé le 20 avril, ainsi que la pratique courante des amendes
et retenues opérées sur les salaires par les patrons. D’autres
mesures vont beaucoup plus loin. Le 16 avril, un décret constitue
une commission d’enquête formée par les chambres syndicales.
Celles-ci sont chargées de dresser la liste des ateliers abandonnés
et de présenter un rapport qui permette de les remettre en marche
par les soins d’associations coopératives des ouvriers qui y sont
employés. Un jury arbitral devait établir, par la suite,
l’indemnité payée aux patrons s’ils revenaient. Malgré
cette réserve, ce décret constituait, en fait, une expropriation
du capital au profit des coopératives ouvrières. Les ouvriers
mécaniciens et métallurgistes, puis les tailleurs, les ébénistes,
les cloutiers, les boulonniers nomment des délégués
à la Commission d’enquête, qui tient deux séances,
les 10 et 18 mai. L’Union des femmes, de son côté, suscite
dans le même sens un projet d’organisation du travail des femmes,
qui doit éviter le piège des ateliers charitables, tels qu’ils
fonctionnèrent en 1848. Elle convie les ouvrières à
la réunion du 18 mai, pour contribuer à l’élection
des déléguées qui constitueront la Chambre fédérale
des travailleuses. Enfin, pour éviter les baisses de salaires, Frankel
propose que les marchés d’habillement militaire soient passés
directement avec les coopératives ouvrières.