La guerre déclarée à la Prusse par Napoléon III, en juillet 1870, avait accumulé, en France, les désastres militaires. Le 4 septembre, sous la poussée populaire, la République est proclamée. Un gouvernement – auquel participent le général Trochu, président, Jules Favre et Jules Ferry – est chargé, en principe, de continuer la guerre. Le peuple de Paris, assiégé par les Allemands à partir du 19 septembre, supporte avec un courage exemplaire le froid, la faim et les bombardements. Mais il s’avère bientôt que le gouvernement dit de la Défense nationale n’est nullement décidé à la lutte, tandis que le peuple de Paris réclame la guerre à outrance. 380 000 hommes constituent la garde nationale, groupée dans ses conseils de famille et dirigée par le Comité central.
Dans chaque arrondissement se sont
constitués, pendant le siège, des comités de vigilance.
De son côté, le Comité central républicain des
vingt arrondissements, composé de délégués
ouvriers, dont beaucoup appartiennent à l’Internationale, siège
depuis le 5 septembre rue de la Corderie. Deux pouvoirs commencent à
s’opposer : celui de l’État bourgeois, représenté
par le gouvernement du 4 septembre ; celui du peuple, encore vague et incontrôlé.
Les souvenirs de la révolution
de 1848, que la bourgeoisie avait accaparée à son profit
et qui s’était terminée en juin par le massacre des ouvriers
de Paris, sont encore vivants et subsistent, malgré les mesures
de coercition prises par le second Empire. Mais, en 1860, l’Empire est
obligé de modifier sa politique et d’adopter une position plus libérale.
Il laisse des ouvriers français se rendre en délégation
à l’Exposition universelle de Londres. Ils y découvrent une
classe ouvrière mieux organisée et mieux rémunérée,
et réclament, à leur retour, la création de chambres
syndicales et le droit de grève. Celui-ci leur est accordé,
avec des restrictions, en 1864. La même année paraît,
à l’occasion d’élections complémentaires, le Manifeste
des soixante , texte capital d’inspiration nettement socialiste, où
les rédacteurs dénoncent l’hypocrisie de l’égalité
telle que l’a formulée la Révolution de 1789 et demandent
une véritable démocratie politique, économique et
sociale. Enfin se constitue, à Londres, l’Association internationale
des travailleurs, dont l’adresse inaugurale est rédigée par
Karl Marx. Mais la section française est formée sur l’initiative
d’ouvriers proudhoniens. À ces courants s’ajoute l’influence de
Blanqui, qui a passé une grande partie de sa vie en prison et qui,
reprenant la tradition de 1793, pense que la révolution peut être
accomplie par de petits groupes organisés en sociétés
secrètes prônant l’action violente. Ces diverses tendances
vont s’affirmer dans l’action des hommes de la Commune.
Le 31 octobre, jour où le
peuple de Paris apprend l’échec de la sortie du Bourget, la capitulation
de Metz et les négociations de paix, les gardes nationaux, à
l’instigation des comités de vigilance, demandent la déchéance
du gouvernement du 4 septembre aux cris de « Vive la Commune ! ».
Le 7 janvier, L’Affiche rouge , rédigée en partie par Jules
Vallès au nom du Comité des vingt arrondissements, réclame
une attaque en masse, la réquisition générale, le
rationnement gratuit, enfin le gouvernement du peuple.
Après l’inutile et sanglante
sortie de Buzenval, le général Trochu est remplacé
par le général Vinoy. Jules Favre va négocier avec
Bismarck. Mais, le 22 janvier, les gardes nationaux réclament, devant
l’Hôtel de Ville, la guerre à outrance : les mobiles bretons
tirent sur la foule. Les clubs, où depuis le siège s’est
formé l’esprit révolutionnaire, ainsi que les journaux républicains
sont supprimés. De nombreuses arrestations sont effectuées.
Le 29 janvier, on apprend la conclusion d’un armistice qui doit permettre
l’élection d’une assemblée nationale. Les conditions en sont
draconiennes : désarmement de l’enceinte fortifiée de Paris,
occupation des forts, paiement de deux cents millions en quinze jours.
La province, qui, elle, veut dans son ensemble la paix à tout prix,
élit une assemblée réactionnaire, tandis qu’à
Paris la délégation des vingt arrondissements, l’Association
internationale des travailleurs et la Chambre fédérale des
sociétés ouvrières présentent des candidats,
dont le programme est nettement socialiste et révolutionnaire :
ils veulent une république qui donnerait aux ouvriers leurs instruments
de travail, comme celle de 1789 remit la terre aux paysans, une république
qui réaliserait à la fois la liberté politique et
l’égalité sociale. Paris élit des bourgeois démocrates
comme Victor Hugo ou Edgar Quinet, des jacobins comme Delescluze, des représentants
comme Pyat, Malon, Gambon et Tolain.
Soutenu par cette Assemblée
en majeure partie composée de ruraux, le chef du pouvoir exécutif,
Thiers, symbole même de la bourgeoisie, a les mains libres pour traiter
avec l’Allemagne. La France devra payer un tribut de cinq milliards, abandonner
l’Alsace, moins Belfort, et le tiers de la Lorraine. Le 1er mars, l’Assemblée
ratifie le traité, malgré la protestation désespérée
des députés alsaciens et lorrains.
Délivrée de la guerre
extérieure, l’Assemblée des ruraux, des hobereaux et des
notables que la province a élus n’a plus devant elle que ces ouvriers,
ces artisans, ces petits-bourgeois de Paris, à la fois socialistes,
républicains et patriotes, qu’il faut mater. Des mesures sont prises
immédiatement contre la population parisienne exténuée
par les souffrances du siège : la suppression des trente sous accordés
aux gardes nationaux, la suppression des moratoires concernant les loyers
et les effets de commerce touchent à la fois les ouvriers, les artisans
et le petit commerce. De plus, l’entrée des Prussiens dans Paris,
prévue pour le 27 février, apparaît aux Parisiens comme
un déshonneur. La foule manifeste et ramène les canons, payés
par les souscriptions de la population parisienne, vers les hauts lieux
populaires de la capitale : Montmartre, les Buttes-Chaumont, Belleville.
Ces canons, ni les Prussiens ni M. Thiers ne les prendront.
Les Allemands n’entrent que le
1er mars dans les beaux quartiers et en sortent le 2. Mais les mesures
contre Paris continuent. Des journaux sont suspendus. Flourens et Blanqui
sont condamnés à mort par contumace, pour avoir participé
à la journée du 31 octobre, tandis que Jules Vallès
est mis en prison pour six mois. Thiers et le général d’Aurelles
de Paladine adressent deux proclamations aux habitants de Paris. Ils les
mettent en garde contre les agissements d’un « Comité occulte
» (le Comité central de la garde nationale), font appel aux
sentiments des « bons citoyens » contre les « mauvais
», fauteurs de désordre, et terminent par une menace non déguisée
de recourir à la force si les circonstances l’exigent. Cet avertissement
ne sera pas entendu.
Dans la nuit du 17 au 18 mars,
les troupes du général Vinoy reçoivent l’ordre de
reprendre les canons des Parisiens. Mais on avait oublié les chevaux
; et les ménagères ont eu le temps de donner l’alerte. Le
comité de vigilance du XVIIIe arrondissement, que dirigent Ferré
et Louise Michel, monte à l’assaut de la butte Montmartre. Et l’on
voit alors d’étonnantes manifestations : femmes, enfants, gardes
fédérés entourent les soldats, qui fraternisent avec
la foule joyeuse et pacifique. Cependant, le soir, deux généraux,
le général Lecomte qui le matin avait donné, sans
être obéi, l’ordre de tirer sur les Parisiens, et le général
Clément Thomas, qui avait, en juin 1848, décimé les
insurgés, sont fusillés, rue des Rosiers.