Devant cette extraordinaire impuissance
du pouvoir, Thiers se réfugie à Versailles, et donne aux
troupes l’ordre d’abandonner Paris.
Étrange victoire remportée
sans violence (exception faite de l’exécution des deux généraux),
sans combat, et par une foule anonyme. Nulle organisation ne l’a préparée,
ni le Comité central de la garde nationale, ni le Comité
des vingt arrondissements, ni les comités de vigilance des quartiers,
ni l’Internationale ; mais des hommes issus de ces différents mouvements,
poussés par la foule anonyme, ont pris des initiatives individuelles
et incoordonnées.
Le 19 au soir, des hommes inconnus
la veille, mais mandatés par le Comité central de la garde
nationale, siègent à l’Hôtel de Ville. Qui sont-ils
? Que veulent-ils ? S’agit-il d’un gouvernement révolutionnaire
? À ces questions que se posent les Parisiens, le Comité
central répond immédiatement par deux proclamations. Dans
l’une, il remercie l’armée de n’avoir pas voulu « porter la
main sur l’arche sainte de nos libertés » et appelle Paris
et la France à « jeter ensemble les bases d’une république
acclamée avec toutes ses conséquences, le seul gouvernement
qui fermera pour toujours l’ère des invasions et des guerres civiles
». En conséquence, le Comité central appelle le peuple
de Paris à de nouvelles élections. Un appel comparable est
adressé aux gardes nationaux. Bien qu’il décide « de
conserver, au nom du peuple », l’Hôtel de Ville, le Comité
central ne se considère donc pas comme un gouvernement révolutionnaire,
mais comme l’agent qui va permettre au peuple d’affirmer sa volonté
par de nouvelles élections. Il fixe ces élections au 22 mars,
et, en même temps, assume le gouvernement de Paris ; il lève
l’état de siège, rétablit la liberté de la
presse, abolit les conseils de guerre, accorde l’amnistie à tous
les condamnés politiques et assure leur libération. Enfin,
il envoie des représentants dans les différents ministères
abandonnés par leurs titulaires, qui ont suivi Thiers à Versailles.
Par ces mesures, le Comité central agit comme un gouvernement, le
gouvernement de Paris, face à celui de Versailles. Mais, ennemi
de la guerre civile, il ne prend pas d’initiatives militaires ; il ne s’attaque
pas non plus aux puissances d’argent : il emprunte, pour faire face aux
dépenses de Paris, cinq cent mille francs à M. de Rothschild
et un million à la Banque de France.
Les maires de Paris et l’Assemblée
nationale, dès sa première séance, condamnent ce gouvernement
de factieux. Diverses tractations ont lieu sans aboutir : il ne peut y
avoir de conciliation entre le peuple et la bourgeoisie.
Le Comité central a, en
effet, précisé son programme (23 mars). Il constate d’abord
la faillite d’un pouvoir qui a mené la France à la défaite
et à la capitulation : « Le principe d’autorité est
désormais impuissant pour rétablir l’ordre dans la rue, pour
faire renaître le travail dans l’atelier, et cette impuissance est
sa négation. » Il faut donc retrouver un ordre et réorganiser
le travail sur de nouvelles bases « qui feront cesser l’antagonisme
des classes et assureront l’égalité sociale ». L’émancipation
des travailleurs et la délégation communale doivent assurer
le contrôle efficace des mandataires du peuple chargés par
lui des réformes sociales. Ces réformes sociales sont : l’organisation
du crédit, de l’échange et de l’association, afin d’assurer
au travailleur la valeur intégrale de son travail, c’est-à-dire
la disparition du profit capitaliste ; l’instruction gratuite, laïque
et « intégrale » ; les libertés des citoyens
(réunion, association, presse) ; l’organisation sur le plan communal
de la police et de l’armée. Le principe qui doit gouverner la société
tout entière, c’est celui qui organise le groupe et l’association.
Il y a donc refus de toute autorité imposée du dehors, que
ce soit celle d’un administrateur, d’un maire ou d’un préfet, et
contrôle permanent de tous les élus.
Le 25 mars, le Comité central
appelle la population parisienne à choisir ses représentants
: « Les hommes qui vous suivront le mieux sont ceux que vous choisirez
parmi vous, vivant de votre vie, souffrant des mêmes maux. »
Puis, considérant sa mission comme terminée, il se déclare
décidé à céder la place aux nouveaux élus.
À quoi le gouvernement de
Versailles répond en appelant la population parisienne à
se grouper autour de son Assemblée, contre les « criminels
», les « insensés » qui déshonorent Paris.
Malgré ces adjurations, 229 000 Parisiens sur 485 000 inscrits se
rendent aux urnes, le 26 mars. La différence entre ces deux chiffres
s’explique par la diminution de la population parisienne par suite de la
guerre, du siège, des départs en province et à Versailles.
D’ailleurs, la participation électorale est plus forte dans les
quartiers ouvriers que dans les « beaux quartiers » de l’ouest
de Paris.
Le 28 mars, à l’Hôtel
de Ville, les membres du Comité central remettent leur pouvoir à
la Commune, puis l’on proclame la liste des élus.