5. La Commune combattante
 
Entre la dictature et l’anarchie

Mais la Commune gouverna dans le désordre, oscillant sans cesse entre la dictature et l’anarchie. Les responsables des diverses commissions chargées des services ministériels changèrent à plusieurs reprises, en ce qui concerne particulièrement les affaires militaires. Comme la situation s’aggravait, les « jacobins » de la Commune firent voter, par 45 voix contre 23, la formation d’un Comité de salut public, dont l’intervention dans les affaires de la guerre fut particulièrement malheureuse. Renouvelé, avec l’appui de la minorité cette fois, après la démission du délégué à la guerre Rossel, le nouveau Comité de salut public prit quelques mesures salutaires, mais trop tardives. La lutte entre majorité et minorité, les rivalités de personnes minaient la Commune de l’intérieur ; à l’extérieur, l’ingérence continuelle du Comité central de la garde nationale dans les affaires militaires paralysait son pouvoir. La prolifération anarchique de comités divers, qui soutenaient la révolution, l’affaiblissait en même temps, en particulier en ce qui concerne la défense de la Commune. La Commune se méfiait des militaires qu’elle avait délégués à la guerre : de l’aventurier Cluseret aussi bien que du généreux Rossel. Les gardes nationaux les plus ardents étaient des combattants révolutionnaires, qui répugnaient à une discipline nécessaire. Enfin, des tentatives de conciliation de la part de l’Union des chambres syndicales, de l’Union républicaine des droits de Paris, des députés de Paris, des membres de la franc-maçonnerie, alors qu’il ne pouvait y avoir de conciliation entre la Commune et Versailles, n’eurent pour effet que d’amoindrir la résistance de Paris.

Une lutte inégale

Barricade rue de rivoliParis n’eut jamais plus de 40 000 combattants, auxquels il faut ajouter des femmes et des adolescents. Thiers, au contraire, avait, avec l’appui de Bismarck, reformé son armée : elle comptait 63 500 hommes, auxquels s’ajoutèrent 130 000 prisonniers libérés d’Allemagne. Jusqu’aux élections de la Commune, il n’y a guère que quelques escarmouches. Mais, le 30 mars, les fédérés sont délogés du rond-point de Courbevoie. Le 2 et le 3 avril, les fédérés essayent de prendre l’offensive. Flourens et Duval sont exécutés par les « versaillais ». À ces exécutions de prisonniers, la Commune répond par le « décret des otages », qui d’ailleurs ne sera pas appliqué. Du 11 avril au 21 mai, la lutte se poursuit autour de Paris. Le général de la Commune, Dombrowski, inflige aux versaillais des pertes importantes. Mais, après une courte trêve qui permet aux habitants de quitter Neuilly en ruines, les versaillais reprennent leurs attaques. Les forts du Sud sont intensément bombardés. Le fort d’Issy, abandonné un moment, est repris par les fédérés. C’est alors que la Commune remplace Cluseret par Rossel (30 avril), qui essaie en vain de réorganiser l’armée fédérée. À partir du 1er mai commence le bombardement systématique de Paris par l’armée versaillaise. Dans la nuit du 3 au 4 mai, la redoute du Moulin-Saquet tombe, puis, le 8, le fort d’Issy, qui n’est plus qu’une ruine. Las, dégoûté, Rossel donne sa démission de délégué à la Guerre ; il est remplacé par un délégué civil, le vieux jacobin Delescluze. Le 13, le fort de Vanves tombe à son tour. Passy, Grenelle, Auteuil, la Muette croulent sous les obus versaillais.

L’énergie du désespoir

Le dimanche 21 mai, les troupes gouvernementales entrent dans Paris par la porte de Saint-Cloud. Pendant une semaine, les combattants de la Commune luttent quartier par quartier, maison par maison, barricade par barricade. Les versaillais fusillent tous ceux qu’ils prennent les armes à la main ; les premières exécutions massives ont lieu à la caserne de la rue de Babylone, tandis que les pompiers de la Commune éteignent l’incendie du ministère des Finances, allumé par des obus versaillais. Il convient de faire le point sur ces incendies de Paris, que l’on a tant reprochés aux communards. En premier lieu, les obus de Thiers avaient déjà endommagé les quartiers de l’Ouest. D’autre part, certains incendies peuvent être attribués à des agents bonapartistes, qui avaient intérêt à faire disparaître des traces de la gestion impériale. Enfin, les incendies allumés par les communards au cours des combats doivent être assimilés à des actes de guerre : ce furent des moyens militaires de s’opposer à l’avance de l’ennemi. La Légion d’honneur, la Cour des comptes, le Conseil d’État ont été ainsi la proie des flammes. Si les communards mettent le feu à la Préfecture de police et à une partie du Palais de justice, des mesures sont prises pour sauvegarder la Sainte-Chapelle et Notre-Dame. Aux massacres des habitants de Paris par les troupes régulières, la Commune répond en faisant exécuter cinquante-deux otages, dont l’archevêque de Paris, Mgr Darboy. Le 26 mai, la résistance est à son comble, tandis que les exécutions sommaires par les versaillais se multiplient à mesure qu’ils avancent dans Paris. Le 27 mai, c’est le massacre des fédérés au milieu des tombes du Père-Lachaise. Cependant, le 28, Ferré, Varlin, Gambon se battent encore au cœur du Paris populaire, entre la rue du Faubourg-du-Temple et le boulevard de Belleville. À une heure, la dernière barricade tombe. Le lendemain, le fort de Vincennes capitule et ses neuf officiers sont fusillés sur-le-champ.

Un fleuve de sang

Les jours suivants, les cours martiales continuèrent à condamner à mort. Il suffisait qu’une femme fût pauvre et mal vêtue pour être exécutée comme « pétroleuse ». La Seine était devenue un fleuve de sang. Incendie de l'Hotel de VilleLe 9 juin, Paris-Journal  écrivait encore : « C’est au bois de Boulogne que seront exécutés à l’avenir les gens condamnés à la peine de mort par la cour martiale. Toutes les fois que le nombre des condamnés dépassera dix hommes, on remplacera par une mitrailleuse le peloton d’exécution. » L’« armée de l’ordre » avait perdu 877 hommes depuis le début d’avril. Mais on ne sait exactement combien d’hommes, de femmes et d’enfants furent massacrés au cours des combats ou sur l’ordre des cours martiales. On peut sans doute avancer le chiffre de trente mille victimes.
À Versailles, on avait entassé plus de trente-huit mille prisonniers. On en envoya aussi dans des forts et sur des pontons. Beaucoup moururent de mauvais traitements. Pour juger les vaincus de la Commune, quatre conseils de guerre fonctionnèrent jusqu’en 1874. Il y eut 10 042 condamnations et 3 761 condamnations par contumace. Ferré, Rossel se montrèrent devant les conseils de guerre à la hauteur de leur destin. Ils furent condamnés à mort et fusillés. Le plus grand nombre fut déporté en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane. D’autres réussirent à gagner la Belgique, la Suisse et l’Angleterre. L’amnistie, votée en 1880, ramena en France les derniers survivants.

Les leçons de la Commune

Certes, la Commune a commis de lourdes fautes. Elle n’a pu ni organiser sa défense, ni lier son action à celle de la province et de la paysannerie. Sans doute les conditions économiques n’étaient-elles pas mûres encore pour instaurer sur des bases socialistes la nouvelle société qu’elle entrevoyait. Mais, par les décisions prises pour l’organisation du travail (suppression du travail de nuit pour les ouvriers boulangers, suppression des amendes et retenues sur les salaires, réouverture et gestion des ateliers par des coopératives ouvrières) et par diverses mesures sociales, la Commune a tracé la voie à une société qui ne serait plus gérée au profit du capitalisme, dans l’intérêt de la bourgeoisie, mais qui déboucherait sur le socialisme. C’est donc à partir de faits très réels que Karl Marx, le premier, a pu écrire : « Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Ses martyrs seront enclos dans le grand cœur de la classe ouvrière. » Cependant, la Commune fut en majorité un gouvernement de petits-bourgeois et l’on ne saurait y trouver en germe l’idée de la dictature du prolétariat, ni même l’organisation d’un parti directeur de la classe ouvrière. Anarchistes, communistes, socialistes de diverses obédiences peuvent donc à la fois se réclamer de son expérience et en dégager, par-delà l’histoire et sans la fausser, la force élémentaire d’un mythe révolutionnaire et un espoir : celui d’une société sans classes, où régnerait la justice sociale.



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