BUONARROTI PHILIPPE
(1761-1837)

    Né à Pise d’une noble famille toscane justement fière d’avoir donné au monde Michel-Ange, Philippe Buonarroti fait à l’université de Pise de bonnes études littéraires et juridiques. Fervent admirateur de Rousseau, il publie un journal, Gazetta universale , ce qui le fait attentivement surveiller par la police toscane. Franc-maçon, il est affilié aux Illuminés de Bavière (dont les options rationalistes, politiques et sociales sont les plus avancées parmi les courants maçonniques ou paramaçonniques). Enthousiasmé par la Révolution, il accourt en France et va propager l’esprit révolutionnaire en Corse ; expulsé de Corse, il se rend en Toscane (où il est emprisonné quelque temps) ; il retourne en Corse et se retrouve à Paris en 1793 après la victoire des paolistes. Robespierre, qui l’estime et l’admet parmi ses familiers, le charge de former des agitateurs révolutionnaires pour l’Italie ; les militants qu’il forme dans une sorte d’école de cadres à la frontière de Nice prouveront leur valeur dans les années suivantes.
Arrêté à Menton comme robespierriste après le 9-Thermidor, transféré à Paris, Buonarroti se lie en prison avec Babeuf ; le premier croit en l’Être suprême avec ferveur et continue à vénérer l’Incorruptible ; le second, antirobespierriste de longue date, a applaudi à la chute du tyran et fait profession d’athéisme. Les deux hommes deviennent pourtant inséparables ; ensemble ils seront l’âme de cette conspiration que le vieux Buonarroti retracera en un ouvrage désormais classique : Histoire de la Conspiration de l’égalité  (1828). Ils sont arrêtés le même jour par la police de Carnot ; condamné à la déportation, Buonarroti voit sa peine commuée en de nombreuses années de détention puis de résidence surveillée. En 1806, Fouché, qui continue de protéger les babouvistes, obtient pour lui le droit de se fixer à Genève ; Buonarroti y retrouve le jeune frère de Marat et y commence une nouvelle activité clandestine de révolutionnaire.
Les trente dernières années de sa vie ne sont ni les moins étonnantes ni les moins fécondes. Sous le couvert de la franc-maçonnerie (il fonde successivement entre autres les loges des Sublimes Maîtres Parfaits et de la Charbonnerie française), il organise sans relâche des réseaux de sociétés secrètes à travers la France et l’Italie, et même à travers toute l’Europe, sans jamais perdre de vue l’idéal babouviste du communisme égalitaire. Trait d’union entre l’Italie et la France, trait d’union entre la révolution démocratique de Robespierre et la révolution sociale de Babeuf, trait d’union entre l’ancienne maçonnerie des Lumières et le carbonarisme dont il est l’un des créateurs et des chefs secrets, trait d’union entre la révolution du XVIIIe siècle et celle du XIXe (sa rencontre exercera une influence décisive sur le jeune Blanqui, de l’aveu de ce dernier), Buonarroti est le type même de ces semi-obscurs qui rendent possible un grand avenir. Changeant de séjour au gré des curiosités policières qu’il vaut mieux déjouer, passant de Genève à Bruxelles et de Bruxelles à Paris (où il mourra), il est en outre le premier à inaugurer vraiment ce type de métier que le XXe siècle nous rendra familier : celui du révolutionnaire professionnel.
 



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