À l’inverse des journées révolutionnaires
du 10 août 1792 ou du 2 juin 1793, le peuple n’eut aucune part dans
la journée du 9 thermidor qui vit la chute de Robespierre. On a
pu dire que le 9-Thermidor correspondait à un simple changement
de majorité parlementaire.
Robespierre a succombé
en effet devant une coalition hétéroclite qui comprenait
d’anciens représentants en mission rappelés en raison de
leurs excès par le Comité de salut public (Fouché,
Tallien, Barras), des députés du centre (Boissy d’Anglas),
des membres du Comité de salut public (Carnot, Billaud-Varenne,
Collot d’Herbois), du Comité de sûreté générale
(agacé par la création au Comité de salut public d’un
bureau de police concurrent dominé par Robespierre) et du Comité
des finances (Cambon), d’anciens dantonistes enfin (Legendre). La nausée
de l’échafaud, à la suite de la loi du 22 prairial qui aggrave
la Terreur, la crainte de voir Robespierre établir une dictature
à son profit, la peur de certains conventionnels plus ou moins corrompus
ont joué un rôle dans la formation de cette coalition. Robespierre
en a permis la formation en s’abstenant pendant plusieurs semaines de paraître
à la Convention et au Comité de salut public, ulcéré
par les critiques de ses collègues et par l’exploitation par Vadier
du complot de «la mère de Dieu», une prophétesse
qui annonçait la venue d’un nouveau messie (messie identifié
à Robespierre par la police du Comité de sûreté
générale).
Le 8 thermidor (26 juill. 1794), Robespierre
prend l’offensive à la Convention. Il dénonce le complot
des députés corrompus, mais sans préciser le nom de
ceux qu’il vise. Subjuguée, l’assemblée décrète
l’impression du discours et son envoi en province. Mais, Robespierre parti,
elle rapporte son décret à la demande de Collot d’Herbois
et de Cambon. L’échec n’est que relatif pour Robespierre. Lorsqu’il
relit son discours le soir aux Jacobins, il est ovationné, cependant
que le public chasse Billaud-Varenne et Collot d’Herbois.
La partie décisive se joue à
la Convention le 9 thermidor. À peine Saint-Just est-il monté
à la tribune qu’il est interrompu par Tallien. Préparée
pendant la nuit, l’offensive parlementaire se développe contre Robespierre.
Lorsque l’Incorruptible veut se défendre, sa voix est couverte par
les cris. La Convention décrète son arrestation ainsi que
celles de Saint-Just, de Couthon, de Lebas et d’Augustin Robespierre. Rien
n’est encore perdu pour Robespierre. Le Tribunal révolutionnaire
n’a-t-il pas acquitté Marat jadis ; La commune de Paris, épurée
de ses éléments hébertistes et passée avec
le maire Fleuriot-Lescot dans le camp robespierriste, s’insurge et délivre
contre son gré Robespierre. Réaction de la Convention : elle
met Robespierre et ses partisans hors la loi. L’Incorruptible et ses amis
délibèrent à l’Hôtel de Ville. Mais ils ne sont
pas rejoints par les sans-culottes, démoralisés depuis l’éviction
des Enragés et mécontents de la trop stricte application
du maximum des salaires alors que le maximum des prix n’est pas respecté.
La Convention rassemble, sous l’énergique impulsion de Barras, des
forces qui encerclent les insurgés. À deux heures du matin,
Robespierre, la mâchoire fracassée dans des conditions mal
éclaircies, Saint-Just et Couthon tombent aux mains de la Convention.
Ils sont guillotinés sans jugement, étant hors la loi, dans
la journée du 10. Le peuple n’a pas bougé. Des cris de «Foutu
le maximum ;» se font entendre au moment de l’exécution.
La chute de Robespierre entraîne la
fin de la politique démocratique et égalitaire de la Révolution.
La victoire revient aux députés modérés, aux
spéculateurs aussi, à tous ceux que l’on désignera
sous le nom de Thermidoriens. La Révolution s’arrête. Michelet
interrompt son récit à cette date, sur une anecdote qui a
une portée considérable. Un employé ayant apporté
quelque secours à Robespierre, blessé, peu après son
arrestation, l’Incorruptible lui répondit : «Je vous remercie,
monsieur.» «Ce retour inattendu au langage du vieux passé,
note Michelet, fut-il instinctif chez l’homme qui en avait gardé
les formes ; ou bien crut-il la Révolution finie avec lui ; Les
cinq grandes années, comme un rêve, disparurent-elles de son
esprit, biffées, vaines, évanouies ; Par une prévision
de mourant, il eut comme un sens amer de la réaction qui venait,
et crut qu’à partir de ce jour on ne pouvait dire «citoyen».
Tel était bien le sens du 9-Thermidor.