Nestor Ivanovith Makhno né le 27 Octobre 1889 à Gouliaï-Polié
dans le Sud de l'Ukraine est le cinquième fils d'une famille de
paysans pauvres. Au lendemain de la révolution manquée de
1905, il intègre le groupe anarcho-communiste de Gouliaï-Polié.
Arrêté plusieurs fois, emprisonné et torturé,
il est condamné à mort en 1910 pour avoir fomenté
un attentat contre le poste de police. Sa peine est commuée en travaux
forcés à perpétuité. Durant son incarcération
il s'instruit et perfectionne sa formation politique. La révolution
de 1917 lui permit de retrouver la liberté. De retour à Gouliaï-Polié,
il fonde une Union paysanne et procède à l'expropriation
des grands domaines agricoles et des usines, dans la région qu'il
contrôlait, établissant des communes rurales autonomes. Chaque
commune était dotée d'une superficie de terre correspondant
à ce que ses membres pouvaient cultiver. Le gouvernement provisoire
d'Ukraine ne pouvait pas s'opposer à la mise en oeuvre de l'anarchie
dans cette province. La question de l'indépendance de l'Ukraine
par rapport à la russie fut vite un problème. Les nouveaux
maîtres de Russie ne voulait pas se séparer de leur grenier
à blé.
Dans ces conditions des combats incessants vont avoir lieu pendant
des années au rythme des flux et reflux des divers combattants :
Troupes d'occupation austro-allemandes, bandes de l'Hetman Skoropadsky,
armées blanches de Denikin puis celles de Wrangel, s'emparant des
villes, les reperdants, multipliant les massacres, les pogroms, les pillages.
Les éléments d'intervention de l'Armée rouge se livreront
dans le pays à de brutales répressions. La tchéka
fit régner un tel régime de terreur chez les paysans ukrainiens
que le gouvernement soviétique dut se résoudre à constituer
une commission, spécialement chargée d'enquêter sur
les agissements en Ukraine de cet organisme policier, sinistre instrument
de la terreur rouge. En 1918, le pouvoir bolchévique se sentant
assez fort supprime les opposants libertaires puis les socialistes révolutionnaires.
Makhno venu s'informer à Moscou de la conduite à tenir dans
sa province n'eut pas de réponse satisfaisante. Il résolut
donc de mettre en pratique sa propre solution : la guerre des paysans.
Si le mouvement Makhnoviste ne pouvait espérer aucun secours des
partis étatiques, en revanche il était en droit de compter
sur une aide de la part des groupes anarchistes des villes. Malheureusement,
les préjugés antiorganisationnels, profondément ancrés
dans les milieux libertaires, ne permirent pas à la makhnovchtchina
de sortir de son isolement. Comment faire admettre aux intellectuels et
théoriciens anarchistes que la guerre, avec la stricte organisation
qu'elle implique, pouvait passer pour un moyen d'action compatible
avec les finalités de l'anarchie ? Makhno pratiqua une guérilla
terriblement efficace avec son armée de 20000 hommes équipée
en partie grâce à des armes prise à l'ennemi.
Makhno contribua efficacement à la lutte contre les armées
blanches de Denikine et Wrangel. Malgré cela, l'implantation d'une
société paysanne libertaire dans la région contrôlée
par Makhno, de même que l'autonomie des makhnovistes, portaient trop
ombrage à un pouvoir central de plus en plus jaloux de ses prérogatives
pour être tolérées plus longtemps. Un conflit sanglant
ne tarda pas à éclater entre les partisans de Makhno et l'Armée
rouge. Après la prise de Gouliaï-Polié par les rouges,
Makhno s'enfuit avec une poignée de cavaliers. Traqué, malade,
blessé il parvint pourtant à échapper à ses
poursuivants. Il trouva exile en France ou il mourut en 1934. L'aventure
de la Makhnovchtchina subit les condamnations des propagandistes et des
historiens soviétiques. L'image de l'anarchiste ukrainien est singulièrement
floue. D'autant plus que la Makhnovchtchina, née de la Révolution
et de la guerre civile, tient à la fois de la guerre d'indépendance
et du mouvement libertaire, deux types d'action difficiles à concilier.
Ce qui est sûr, c'est que Makhno, chef de guerre, fut tout autant
un anarchiste authentique, conscient de l'importance primordiale de la
liberté sociale. A la manière de ce qui se produira plus
tard dans l'Espagne de la guerre civile, Makhno réussi à
installé en Ukraine un embryon de société rurale libertaire.
En plus des conditions historiques et d'un rapport de forces nettement
défavorables à l'insurrection ukrainienne, le conflit du
bolchevisme et du makhnovisme a illustré le caractère absolument
inconciliable de deux conceptions de la révolution. Le point de
vue marxiste d'un coté, axé sur le prolétariat ouvrier,
conçu comme classe universelle révolutionnaire, de l'autre,
un anarcho-populisme paysan. C'est la politique qui a vaincu Makhno et
ses paysans anarchistes. Les sociétés agricoles libertaires
d'Espagne succomberont un jour elles aussi, pour les mêmes raisons,
et sous les coups des mêmes adversaires.