Makhno et l'organisation

Makhno avait conscience de la difficulté de mettre en place une armée insurrectionnelle. Il savait que l'organisation d'une armée, avec ce que cela entraîne comme structures militaires, constituait un phénomène sans précédent et paradoxal dans la conception et l'application des idées anarchistes. Certes, cette armée avait fonctionné à partir des principes de démocratie directe : volontariat, élection et révocation par la base des responsables et commandants à tous niveaux, autonomie des détachements et des régiments, enfin symbiose totale avec la population laborieuse dont cette armée était l'émanation. Cependant il y avait un Etat-major central, où Makhno avait joué un rôle primordial, et un noyau dur et dynamique du mouvement, tant politiquement que militairement, composé par des anarchistes et surtout par les membres du groupe communiste libertaire de Gouliaï-Polié et qui formait une avant-garde. Makhno concevait cette avant-garde au sens littéral du terme, à savoir que ses membres devaient se trouver aux avant-postes de la lutte et donner l'exemple; il n'y avait là rien de commun avec la conception jacobino-léniniste d'une avant-garde  qui se voudrait dépositaire du rôle historique et politique de la masse afin de mieux substituer ses propres intérêts d'élite aux aspirations collectives. L'avant-garde des insurgés makhnovistes, elle, n'avait pris que l'initiative de la lutte armée et de la détermination de ses objectifs; les instances suprêmes de la population ayant été représentées par les soviets libres, leurs assemblées et congrès. Cette avant-garde-là était donc placée au coeur même de la masse et non au-devant ou au-dessus, la différence étant de taille. Durant ses années d’exilés Makhno revint sur le rôle de l'organisation.Il en tirai comme conclusion qu'une des grandes raisons de l'échec du mouvement de la Makhnovchtchina était que celle-ci n'avait pas su mettre en place un grande organisation spécifique, capable d'opposer ses forces vives aux ennemis de la révolution. Il conçoit donc un mode organisationnel qui puisse accomplir les tâches de l'anarchisme, non seulement lors de la préparation de la révolution sociale, mais également à ses lendemains. Et il conclut que l'anarchisme ne peut plus rester enfermé dans les limites étriquées d'une pensée marginale et revendiqué uniquement par quelques groupuscules aux actions isolées. L'anarchie doit désormais se munir de moyens nouveaux et emprunter la voie de pratiques sociales.



 Retour sommaire
Retour Trotski face au pouvoir