Viro Major
Ayant
vu le massacre immense, le combat
Le
peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
La
pitié formidable était dans tes paroles.
Tu
faisais ce que font les grandes âmes folles
Et,
lasse de lutter, de rêver de souffrir,
Tu
disais : " j'ai tué ! " car tu voulais mourir.
Tu
mentais contre toi, terrible et surhumaine.
Judith
la sombre juive, Aria la romaine
Eussent
battu des mains pendant que tu parlais.
Tu
disais aux greniers : " J'ai brûlé les palais !"
Tu
glorifiait ceux qu'on écrase et qu'on foule.
Tu
criais : " J'ai tué ! Qu'on me tue ! - Et la foule
Ecoutait
cette femme altière s'accuser.
Tu
semblais envoyer au sépulcre un baiser ;
Ton
oeil fixe pesait sur les juges livides ;
Et
tu songeais pareille aux graves Euménides.
La
pâle mort était debout derrière toi.
Toute
la vaste salle était pleine d'effroi.
Car
le peuple saignant hait la guerre civile.
Dehors
on entendait la rumeur de la ville.
Cette
femme écoutait la vie aux bruits confus
D'en
haut, dans l'attitude austère du refus.
Elle
n'avait pas l'air de comprendre autre chose
Qu'un
pilori dressé pour une apothéose ;
Et,
trouvant l'affront noble et le supplice beau
Sinistre,
elle hatait le pas vers le tombeau
Les
juges murmuraient : " Qu'elle meure ! C'est juste
Elle
est infâme - A moins qu'elle ne soit Auguste "
Disait
leur conscience. Et les jugent, pensifs
Devant
oui, devant non, comme entre deux récifs
Hésitaient,
regardant la sévère coupable.
Et
ceux qui, comme moi, te savent incapable
De
tout ce qui n'est pas héroisme et vertu,
Qui
savent que si l'on te disait : " D'ou viens tu ? "
Tu
répondrais : " Je viens de la nuit ou l'on souffre ;
Oui,
je sors du devoir dont vous faites un gouffre !
Ceux
qui savent tes vers mystérieux et doux,
Tes
jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs donnés à tous,
Ton
oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta
parole semblable aux flammes des apôtres ;
Ceux
qui savent le toit sans feu, sans air, sans pain
Le
lit de sangle avec la table de sapin
Ta
bonté, ta fierté de femme populaire.
L'âpre
attendrissement qui dors sous ta colère
Ton
long regard de haine à tous les inhumains
Et
les pieds des enfants réchauffés dans tes mains ;
Ceux-la,
femme, devant ta majesté farouche
Méditaient,
et malgré l'amer pli de ta bouche
Malgré
le maudisseur qui, s'acharnant sur toi
Te
jetai tout les cris indignés de la loi
Malgré
ta voix fatale et haute qui t'accuse
Voyaient
resplendir l'ange à travers la méduse.
Tu
fus haute, et semblas étrange en ces débats ;
Car,
chétifs comme tous les vivants d'ici-bas,
Rien
ne les trouble plus que deux âmes mêlées
Que
le divin chaos des choses étoilées
Aperçu
tout au fond d'un grand coeur inclément
Et
qu'un rayonnement vu dans un flamboiement.
Victor Hugo
Décembre
1871
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