Le procès de Louise Michel, Communarde.

 Compte rendu de la Gazette des Tribunaux

 
".... En conséquence, notre avis est qu'il y a lieu de mettre Louise Michel en jugement pour:
  Crimes prévus par les articles 87,91,150,151,159,59,60,302,341,344 du code pénal et 5 de la loi du 24 mai 1834.

M. le président : Vous avez entendus les faits dont on vous accuse; qu'avez-vous à dire pour votre défense?

L'accusée : Je ne veux pas me défendre, je ne veux pas être défendues ; j'appartiens toute entière à la révolution sociale, et je déclare accepeter la responsabilité de mes actes. Je l'accepte tout entière et sans restriction. Vous me reprochez d'avoir participé à l'assassinat des généraux? A cela je répondrais oui si je m'étais trouvée à Montmartre quand ils ont voulu faire tirer sur le peuple; je n'aurai pas hésité à faire tirer moi-même sur ceux qui donnaient des ordres semblables; mais, lorsqu'ils ont été fait prisonniers je ne comprends pas qu'on les ait fusillés, et je regarde cet acte comme une insigne lacheté !
Quand à l'incendie de Paris, oui j'y ai participé. Je voulais opposer une barrière de flammes aux envahisseurs de Versailles. Je n'ai pas eu de complices pour ce fait, j'ai agi d'après mon propre mouvement.
On dit aussi que je suis complice de la Commune ! Assurément oui, puisque la Commune voulait avant tout la révolution sociale, et que la révolution sociale est le plus cher de mes voeux ; bien plus, je me fais l'honneur d'être un des promoteurs de la Commune qui n'est d'ailleurs pour rien, pour rien qu'on le sache bien, dans les assassinats et les incendies : moi qui ai assisté à toutes les séances de l'Hotel de Ville, je déclare que jamais il n'y a été question d'assassinats ou d'incendie. Voulez-vous connaitre les vrais coupables? Ce sont les gens de la police, et plus tard, peut-être, la lumière se fera sur tous ces événements dont on trouve aujourd'hui tout naturel de rendre responsables tous les partissants de la révolution sociale.
Un jour, je proposais à Ferré d'envahir l'Assemblée; je voulais deux victimes, M. Thiers et moi, car j'avais fait le sacrifice de ma vie et j'étais décidée à le frapper.

M. le Président : Dans une proclamation, vous avez dit qu'on devait, toutes les 24 heures, fusiller un otage?

R. Non, j'ai seulement voulu menacer. Mais pourquoi me défendrais-je? Je vous l'ai déja déclaré, je me refuse à le faire. Vous êtes des hommes, qui allez me juger ; vous êtes devant moi à visage découvert ; vous êtes des hommes et moi je ne suis qu'une femme, et pourtant je vous regarde en face. Je sais bien que tout ce que je pourrai vous dire ne changera rien a votre sentence. Donc un seul et dernier mot avant de m'asseoir. Nous n'avons jamais voulu que le triomphe de la Révolution ; je le jure par nos martyrs tombés sur le champ de Satory, par nos martyrs que j'acclame encore ici hautement, et qui un jour trouveront bien un vengeur.
Encore une fois, je vous appartiens ; faites de moi ce qu'il vous plaira. Prenez ma vie si vous la voulez ; je ne suis pas femme à vous la disputez un seul instant.

M. le président : Vous déclarez ne pas avoir approuvé l'assassinat des généraux et cependant on raconte que, quand on vous l'apprit, vous vous êtes écriée :"On les a fusillés, c'est bien fait" - R. oui, j'ai dit cela, je l'avoue. (Je me rapelle même que c'était en présence des citoyens Le Moussu et Ferré.)

D. Vous aprouviez donc l'assassinat? - R. Permettez, cela n'en est pas une preuve ; les paroles que j'ai prononcées avaient pour but de ne pas arrêter l'élan révolutionnaire.

D. Vous écriviez aussi dans les journaus ; dans "Le Cri du Peuple" par exemple? -R. Oui, je ne m'en cache pas.

D. Ces journaux demandaient chaque jour la confiscation des biens du clergé et autres mesures révolutionnaires semblables. Telles étaient donc vos opinions? -R. En effet ; mais remarquez que nous n'avons jamais voulu prendre ces biens pour nous ; nous ne songions qu'à les donner au peuple pour le bien-être.

D. Vous avez demandez la supression de la magistrature? -R. C'est que j'avais devant les yeux les exemples de ses erreurs. Je me rappelais l'affaire Lesurques et tant d'autres.

D. Vous reconnaissez avoir voulu assassiner M.Thiers? -R. Parfaitement... Je l'ai dit et je le répète.

D. Il paraît que vous portiez divers costumes sous la Commune? -R. J'étais vêtue comme d'habitude ; je n'ajoutais qu'une ceinture rouge sur mes vêtements.

D. N'avez-vous pas portée plusieur fois un costume d'homme? R. Une seule fois, c'était le 18 mars : je m'habillais en garde national, pour ne pas attirer les regards.
 

Peu de témoins ont été assignés, les faits reprochés à Louise Michel n'étant pas discutés par elle.
On entend d'abord la femme Poulain, Marchande.
 
M. le président : Vous connaissiez l'accusée? Vous savez qu'elles étaient ses idées politiques? - R. Oui, monsieur le président.
Louise Michel : Mais j'ai avouée le fait, c'est inutile que des témoins viennent le certifier.
 
Femme Botin, peintre.
 
M. le Président : Louise Michel n'a-t-elle pas dénoncé un de vos frères pour le forcer  à servir dans la garde natuionale? -R.oui, monsieur le président.

Louise Michel : Le témoin avait un frère, je le croyais brave et je voulais qu'il serve la Commune.

M. le Président (au témoin) : Vous avez vous l'accusée un jour dans une voiture se promenant au milieu des gardes et leur faisant des saluts de reine, selon votre expression ? - R. Oui monsieur le président.

Louise Michel : Mais cela ne peut être vrai, car je ne pouvais vouloir imiter ces reines dont on parle et que je voudrai toutes voir décapitées comme Marie-Antoinette. La vérité est que j'étais tout simplement montée en voiture parceque je souffrais d'une entorse qui était la suite d'une chute faite à Issy.

La femme Pompon, concierge, répète tout ce qui se racontait sur le compte de l'accussée. On la connaissait comme trés exaltée.

Cécile Denéziat, sans profession, connaissait beaucoup l'accusée.

M. le Président : L'avez-vous vue habillée en garde nationale ? - R. Oui, une fois, vers le 18 Mars.

D. Portait-elle une carabine? -R. Je l'ai dit, mais je ne me rapelle pas bien ce fait.

D. Vous l'avez-vous se promenant en voiture au milieu des gardes nationaux? -R. Oui, monsieur le président, mais je ne me rapelle pas exactement les détais de ce fait.

D. Vous avez aussi déjà dit que vous pensiez qu'elle s'etait trouvée au premier rang quand on avait assassiné les généraux Clément Thomas et Lecomte? -R. Je ne faisais que répéter ce qu'on avait dit autour de moi.

M. le capitaine Dailly prend la parole. Il demande au conseil de retrancher de la société l'accusée, qui est pour elle un danger continuel. Il abandonne l'accusation sur tout les chefs, excepté celui de port d'armes apparentes ou cachées dans un mouvement insurrectionnel.

Me Haussman, à qui la parole est ensuite donnée, déclare que devant la volonté formelle de l'accusée de ne pas être défendue, il s'en rapporte simplement à la sagesse du conseil.

M. le Président : Accussée, avez-vous quelques choses à dire pour votre défense?

Louise Michel : Ce que je réclame de vous, qui vous affirmez conseil de guerre, qui vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas comme la commission des grâces, de vous qui êtes des militaires et qui jugez à la face de tous, c'est le champ de Satory , où sont déjà tombés nos fréres.
Il faut me retrancher de la société; on vous dit de la faire : eh bien ! le commissaire de la république à raison. Puisqu'il semble que tout coeur qui bat pour la liberté n'a droit qu'à un peu de plomb, j'en réclame une part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la commission des grâces......

M. le Président : Je ne puis vous laissez la parole si vous continuez sur ce ton.

Louise Michel : J'ai fini.... Si vous n'êtes pas des laches, tuez-moi......

Aprés ces paroles qui ont causé une profonde émotion dans l'auditoire, le conseil se retire pour délibérer. Au bout de quelques instants, il rentre en séance, et, aux termes du verdict, Louise Michel est à l'unanimité condamnée à la  déportation dans une enceinte fortifiée.

On ramène l'accusée et on lui donne connaissance du jugemenent. Quand le greffier lui dit qu'elle à 24 heures pour se pouvoir en révision ;
"Non ! s'écrie-t-elle, il n'y a point d'appel ; mais je préférerais la mort ! "

La Gazette des Tribunaux, Décembre 1871.
 
 



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