M. le président : Vous avez entendus les faits dont on vous accuse; qu'avez-vous à dire pour votre défense?
L'accusée :
Je ne veux pas me défendre, je ne veux pas être défendues
; j'appartiens toute entière à la révolution sociale,
et je déclare accepeter la responsabilité de mes actes. Je
l'accepte tout entière et sans restriction. Vous me reprochez d'avoir
participé à l'assassinat des généraux? A cela
je répondrais oui si je m'étais trouvée à Montmartre
quand ils ont voulu faire tirer sur le peuple; je n'aurai pas hésité
à faire tirer moi-même sur ceux qui donnaient des ordres semblables;
mais, lorsqu'ils ont été fait prisonniers je ne comprends
pas qu'on les ait fusillés, et je regarde cet acte comme une insigne
lacheté !
Quand à l'incendie
de Paris, oui j'y ai participé. Je voulais opposer une barrière
de flammes aux envahisseurs de Versailles. Je n'ai pas eu de complices
pour ce fait, j'ai agi d'après mon propre mouvement.
On dit aussi que je
suis complice de la Commune ! Assurément oui, puisque la Commune
voulait avant tout la révolution sociale, et que la révolution
sociale est le plus cher de mes voeux ; bien plus, je me fais l'honneur
d'être un des promoteurs de la Commune qui n'est d'ailleurs pour
rien, pour rien qu'on le sache bien, dans les assassinats et les incendies
: moi qui ai assisté à toutes les séances de l'Hotel
de Ville, je déclare que jamais il n'y a été question
d'assassinats ou d'incendie. Voulez-vous connaitre les vrais coupables?
Ce sont les gens de la police, et plus tard, peut-être, la lumière
se fera sur tous ces événements dont on trouve aujourd'hui
tout naturel de rendre responsables tous les partissants de la révolution
sociale.
Un jour, je proposais
à Ferré d'envahir l'Assemblée; je voulais deux victimes,
M. Thiers et moi, car j'avais fait le sacrifice de ma vie et j'étais
décidée à le frapper.
M. le Président : Dans une proclamation, vous avez dit qu'on devait, toutes les 24 heures, fusiller un otage?
R. Non, j'ai seulement
voulu menacer. Mais pourquoi me défendrais-je? Je vous l'ai déja
déclaré, je me refuse à le faire. Vous êtes
des hommes, qui allez me juger ; vous êtes devant moi à visage
découvert ; vous êtes des hommes et moi je ne suis qu'une
femme, et pourtant je vous regarde en face. Je sais bien que tout ce que
je pourrai vous dire ne changera rien a votre sentence. Donc un seul et
dernier mot avant de m'asseoir. Nous n'avons jamais voulu que le triomphe
de la Révolution ; je le jure par nos martyrs tombés sur
le champ de Satory, par nos martyrs que j'acclame encore ici hautement,
et qui un jour trouveront bien un vengeur.
Encore une fois, je
vous appartiens ; faites de moi ce qu'il vous plaira. Prenez ma vie si
vous la voulez ; je ne suis pas femme à vous la disputez un seul
instant.
M. le président : Vous déclarez ne pas avoir approuvé l'assassinat des généraux et cependant on raconte que, quand on vous l'apprit, vous vous êtes écriée :"On les a fusillés, c'est bien fait" - R. oui, j'ai dit cela, je l'avoue. (Je me rapelle même que c'était en présence des citoyens Le Moussu et Ferré.)
D. Vous aprouviez donc l'assassinat? - R. Permettez, cela n'en est pas une preuve ; les paroles que j'ai prononcées avaient pour but de ne pas arrêter l'élan révolutionnaire.
D. Vous écriviez aussi dans les journaus ; dans "Le Cri du Peuple" par exemple? -R. Oui, je ne m'en cache pas.
D. Ces journaux demandaient chaque jour la confiscation des biens du clergé et autres mesures révolutionnaires semblables. Telles étaient donc vos opinions? -R. En effet ; mais remarquez que nous n'avons jamais voulu prendre ces biens pour nous ; nous ne songions qu'à les donner au peuple pour le bien-être.
D. Vous avez demandez la supression de la magistrature? -R. C'est que j'avais devant les yeux les exemples de ses erreurs. Je me rappelais l'affaire Lesurques et tant d'autres.
D. Vous reconnaissez avoir voulu assassiner M.Thiers? -R. Parfaitement... Je l'ai dit et je le répète.
D. Il paraît que vous portiez divers costumes sous la Commune? -R. J'étais vêtue comme d'habitude ; je n'ajoutais qu'une ceinture rouge sur mes vêtements.
D. N'avez-vous pas
portée plusieur fois un costume d'homme? R. Une seule fois, c'était
le 18 mars : je m'habillais en garde national, pour ne pas attirer les
regards.
Louise Michel : Le témoin avait un frère, je le croyais brave et je voulais qu'il serve la Commune.
M. le Président (au témoin) : Vous avez vous l'accusée un jour dans une voiture se promenant au milieu des gardes et leur faisant des saluts de reine, selon votre expression ? - R. Oui monsieur le président.
Louise Michel : Mais cela ne peut être vrai, car je ne pouvais vouloir imiter ces reines dont on parle et que je voudrai toutes voir décapitées comme Marie-Antoinette. La vérité est que j'étais tout simplement montée en voiture parceque je souffrais d'une entorse qui était la suite d'une chute faite à Issy.
La femme Pompon, concierge, répète tout ce qui se racontait sur le compte de l'accussée. On la connaissait comme trés exaltée.
Cécile Denéziat, sans profession, connaissait beaucoup l'accusée.
M. le Président : L'avez-vous vue habillée en garde nationale ? - R. Oui, une fois, vers le 18 Mars.
D. Portait-elle une carabine? -R. Je l'ai dit, mais je ne me rapelle pas bien ce fait.
D. Vous l'avez-vous se promenant en voiture au milieu des gardes nationaux? -R. Oui, monsieur le président, mais je ne me rapelle pas exactement les détais de ce fait.
D. Vous avez aussi déjà dit que vous pensiez qu'elle s'etait trouvée au premier rang quand on avait assassiné les généraux Clément Thomas et Lecomte? -R. Je ne faisais que répéter ce qu'on avait dit autour de moi.
M. le capitaine Dailly prend la parole. Il demande au conseil de retrancher de la société l'accusée, qui est pour elle un danger continuel. Il abandonne l'accusation sur tout les chefs, excepté celui de port d'armes apparentes ou cachées dans un mouvement insurrectionnel.
Me Haussman, à qui la parole est ensuite donnée, déclare que devant la volonté formelle de l'accusée de ne pas être défendue, il s'en rapporte simplement à la sagesse du conseil.
M. le Président : Accussée, avez-vous quelques choses à dire pour votre défense?
Louise Michel : Ce
que je réclame de vous, qui vous affirmez conseil de guerre, qui
vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas comme la commission
des grâces, de vous qui êtes des militaires et qui jugez à
la face de tous, c'est le champ de Satory , où sont déjà
tombés nos fréres.
Il faut me retrancher
de la société; on vous dit de la faire : eh bien ! le commissaire
de la république à raison. Puisqu'il semble que tout coeur
qui bat pour la liberté n'a droit qu'à un peu de plomb, j'en
réclame une part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai
de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes
frères les assassins de la commission des grâces......
M. le Président : Je ne puis vous laissez la parole si vous continuez sur ce ton.
Louise Michel : J'ai fini.... Si vous n'êtes pas des laches, tuez-moi......
Aprés ces paroles qui ont causé une profonde émotion dans l'auditoire, le conseil se retire pour délibérer. Au bout de quelques instants, il rentre en séance, et, aux termes du verdict, Louise Michel est à l'unanimité condamnée à la déportation dans une enceinte fortifiée.
On ramène l'accusée
et on lui donne connaissance du jugemenent. Quand le greffier lui dit qu'elle
à 24 heures pour se pouvoir en révision ;
"Non ! s'écrie-t-elle,
il n'y a point d'appel ; mais je préférerais la mort ! "
La Gazette des Tribunaux,
Décembre 1871.